Vox clamantis in deserto (la voix de celui qui crie dans le désert)
Jean Raspail, Le Camp des Saints, précédé de Big Other, roman, Robert Laffont, 2011. Quatrième édition chez cet éditeur après celles de 1973, 1978, 1985. Douze éditions en langues étrangères ; quatre éditions dans des collections de poche
Depuis près de quarante ans, ce roman, comme l’attestent les nombreuses éditions en langues étrangères et les nombreuses rééditions en français, a des lecteurs dans des générations successives, parfois très différentes les unes des autres et cela, bien que son auteur aborde un sujet difficile et souvent miné. C’est un « roman » sur la France actuelle, celle de 1973 et aussi celle d’aujourd’hui, mais un roman d’anticipation dans la mesure où ce qui est raconté dans quatre cents pages, à savoir l’invasion de la France par des millions de miséreux cupides et désireux de s’approprier des richesses de notre pays, ne s’est pas encore produit, en tout cas ne s’est pas produit sous les formes annoncées, sinon à deux reprises lors de l’échouage sur la Côte d’Azur et en Corse de navires en très mauvais état qui transportaient dans leur cale de milliers de clandestins syriens ou kurdes, lesquels, la justice ou les lois étant ce qu’elles sont, se sont aussitôt égaillés dans notre pays et fondus dans les masses croissantes d’étrangers attirés par les innombrables allocations, revenus de solidarité, aides, subsides, etc. qui sont prodiguées aveuglément et sans contrepartie d’aucune sorte à tout individu qui réussit à poser un pied sur le territoire de la France.
Ce roman anticipe ce que sera, selon le narrateur de cette histoire, l’état de la France dans x années, c’est-à-dire un pays envahi par des millions de migrants partis du delta du Gange, puis par d’autres millions venus d’Afrique et d’Asie, bref du monde entier, migrants en apparence « pacifiques », mais qui tuent, pillent, détruisent en quelques semaines le pays où ils ont réussi à aborder. Cette invasion est dite de la misère, par euphémisme bien entendu, pour atténuer ce que le mot invasion aurait de trop brutal, mot souvent remplacé par envahissement. Cela n’empêche pas que le phénomène décrit a toutes les caractéristiques d’une invasion qui substitue au peuple français des peuples à la peau plus ou moins foncée et qui ont choisi de s’approprier un paradis, avec (ce sur quoi insiste le narrateur) la complicité de la quasi-totalité des élites et même, osons le mot, la collaboration des populations immigrées déjà installées légalement ou illégalement en France et qui remercient le pays qui les a accueillis en participant allègrement à sa destruction.
Il est quelques Français qui résistent, c’est-à-dire qui tentent d’utiliser les armes pour repousser les envahisseurs, à la manière de ces Français libres qui, à partir de juillet 1940, ont décidé de continuer la guerre aux côtés des Anglais pour libérer leur pays. En juillet 1940, ces Français libres étaient quelques milliers. Trente ans plus tard, mais dans le roman, ils ne sont plus que vingt – vingt individus sur une population de cinquante millions de personnes – qui se replient dans un village perché sur les hauteurs de la Côte d’Azur, « Camp des Saints » que le gouvernement légal, ayant renoncé à défendre la France, fait bombarder et détruire par l’aviation : en quelques instants, ces chasseurs bombardiers tuent ces Saints qui sont les seuls à résister, tandis que l’armée, les anciennes élites, les fonctionnaires se mettent au service des nouveaux maîtres du pays.
En 1973, ce « scénario » semblait relever d’un prophétisme archaïque, celui-là même qu’exprime le XXe chant de l’Apocalypse, dont un extrait est reproduit en épigraphe sur la page qui suit immédiatement la page de titre du livre : « Les temps des mille ans s’achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des Saints et la Ville bien-aimée ». Il pouvait donc apparaître alors comme hautement improbable ; aujourd’hui, il est de plus en plus fréquemment envisagé comme une hypothèse plausible.
Certes, dans cette hypothèse, les envahisseurs ne viennent pas du Gange, comme dans le roman, mais du monde entier et d’abord des rives proches du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Ce qui fait la force de cette hypothèse, en dépit d’une narration qui, à force d’être explicitement démonstrative, risque de ne rien démontrer, c’est, outre que le narrateur est sûr de son fait, la thèse selon laquelle il n’y a de richesses que d’hommes, comme disaient jadis les penseurs politiques, et la réalité lancinante de l’asymétrie démographique : d’un côté, en Europe, un grand manque d’hommes, de femmes, d’enfants ; de l’autre, au Sud, une prolifération foisonnante et sans cesse en croissance géométrique et non pas arithmétique d’hommes et de jeunes mâles désireux de s’accoupler, d’enfants qui deviendront rapidement des hommes, asymétrie doublée d’une asymétrie dans les richesses matérielles, ce qui produit ainsi un gigantesque appel d’air dans lequel s’engouffrent des millions de migrants.
De toute évidence, le narrateur est un « affreux » réactionnaire, comme deux ou trois de ses « héros » du camp des Saints, Calguès, Ragasès et Notaras, dont les mots à consonance grecque rappellent l’événement historique matriciel auquel se plie la France, à savoir la chute de Constantinople en 1453. Le roman se clôt sur une citation du « Prince Bibesco » : « la chute de Constantinople est un malheur personnel qui nous est arrivé la semaine dernière », phrase qui risque de devenir, si le scénario s’avère, celle des Français qui ne se remettront jamais de la fin de leur pays.
Le meilleur de ce roman tient sans doute à l’importance que le narrateur accorde à la mémoire, au souvenir, à l’histoire tragique des peuples, mais il est le seul dans son pays à vouloir se rappeler les grands faits du passé ; et surtout à l’analyse des facteurs qui ont conduit, non pas à l’invasion de la France, mais à la paralysie du peuple français incapable de réagir, parce que, depuis des décennies, ce peuple est anesthésié ou lobotomisé par des idéologies culpabilisantes, celles des médias et de la presse, des tiers-mondistes, des marxistes léninistes, des cathos de gauche, des protestants, des évangélistes, des marchands, des financiers, des syndicalistes, des enseignants, etc. et qui, à force d’être agoni d’insultes ou d’accusations, finit par ne plus vouloir qu’un destin : cesser d’être, disparaître ou dispar’être, se fondre dans une nouvelle humanité messianique, celle du tiers-monde, etc. On peut regretter une insistance désagréable sur la race et la couleur de la peau, faisant de cette invasion une guerre des races, dans la grande tradition ouverte par l’essayiste du XVIIIe siècle, Henri de Boulainvilliers, opposant les noirs et les basanés aux blancs, vision du monde qui pourrait empêcher de nombreux lecteurs d’adhérer au scénario probable du Camp des Saints. Il n’en reste pas moins que cet ouvrage compte parmi ceux qui vont marquer la littérature de notre pays.