- La connaissance des réalités
Il est indécent d’aborder la condition des chrétiens du Proche-Orient, sans en avoir une connaissance raisonnée, organisée, sans passion. Le savoir vient de témoignages, de travaux savants et d’un examen serré et sans concession du vocabulaire dont nous usons.
D’abord les témoignages. Ils sont de trois ordres. Les responsables religieux des chrétiens du Proche Orient ne sont pas libres : ils savent que toute plainte à l’étranger, toute protestation publique, tout appel à l’aide, équivaudraient à la fin de la tolérance (ou dhimma) et provoqueraient de violentes représailles. Leur parole est surveillée, à la fois par eux-mêmes et par les autorités. Les responsables religieux de France et d’Europe sont eux aussi très prudents. De plus, ils sont paralysés par la recherche du dialogue à tout prix avec l’islam. Sœur Emmanuelle est la charité du Christ en acte. Personne ne peut émettre de critique à son encontre. Rappelons seulement un fait. Sœur Emmanuelle raconte qu’elle a pris la décision à la fin des années 1960 d’abandonner l’enseignement, parce que, dans l’institution d’Alexandrie (La Mère de Dieu ?) où elle enseignait le français, ses élèves n’avaient pas contribué à une quête en faveur de musulmans déshérités, à l’occasion de l’anniversaire de Mahomet. Elle en a été chagrinée. Ses élèves, elles, résistaient. Sœur Emmanuelle a pour absolu la charité, ses élèves ont eu une réaction politique. Leurs familles sont victimes de persécutions, elles ont perdu leurs biens entre 1956 et 1961, des parents ont dû s’exiler. Il leur était impossible de faire preuve de générosité envers des populations qui leur étaient hostiles et au nom de qui leurs familles étaient persécutées. C’est pourquoi les témoignages qui ont une valeur sont ceux des seules victimes. Laissons les exilés témoigner, ceux qui sont réfugiés en Occident et qui, parce qu’ils n’ont pas laissé de famille ou de proches dans leur pays, peuvent parler librement. Ecoutons-les.
La connaissance peut venir de quelques savants, pas de spécialistes de l’islam, orientalistes ou islamologues, qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas musulmans, parce que tout, chez Berque, Gardet, Etienne, Veinstein, Kepel, Saïd, procède de la volonté d’occulter les persécutions dont sont victimes les chrétiens et de prouver, contre toute vérité, que les victimes en Orient sont les musulmans. Des savants, pourtant, élaborent un savoir, en toute indépendance et hors de toute préoccupation apologétique. Ce sont Bat Ye’or, l’historienne de la dhimma, Jean-Pierre Valognes, historien et diplomate, auteur de « Vie et mort des chrétiens d’Orient » (Fayard), Christophe Luxemberg, philologue, auteur d’un ouvrage en allemand, qui n’est pas encore traduit en anglais, sur les « sources araméennes et syriaques du Coran », Alexandre Del Valle, spécialiste de géopolitique, Anne-Marie Delcambre, qui lit Le Coran sans œillères. On peut se reporter aux sites internet chaldéens ou arméniens. Tous ces auteurs, sauf Mme Delcambre, ont adopté un pseudonyme, qui n’est pas un « nom de plume », mais une protection. Deux fatwas ont été émises contre Luxemberg. Del Valle est menacé. Si Jean-Pierre Valognes, diplomate, avait publié son livre sous son nom véritable, sa carrière aurait été brisée, comme celle de Jean-Pierre Péroncel Hugoz l’a été. Alors que celui-ci était correspondant du Monde au Caire entre 1974 et 1980, nombre de ses articles ont été censurés : ils étaient jugés hostiles à l’islam et à Sadate, qui favorisait la ré-islamisation de son pays. Son livre, « Le radeau de Mahomet », a été très mal accueilli par son journal et par les musulmans. Rappelé à Paris, il lui a été confié la rubrique « francophonie » (où ses analyses ont été considérées comme gênantes), puis le tourisme. Comme là encore, il gênait, il a été relégué à la rubrique « philatélie » et collections diverses.
Les romans écrits par écrivains français d’origine orientale, grecque catholique ou juive (Paula Jacques, Alia, Solé, Sinoué, Maalouf) sont aussi des sources de connaissance, à condition de séparer ce qui tient de l’histoire de ce qui relève de la fiction. C’est dans un roman de Paula Jacques que l’on apprend (ce que les islamologues taisent) qu’en mai 1948, les Juifs d’Egypte ont été victimes de pogroms, que certains d’entre eux ont été parqués dans des camps de concentration, avant d’être expulsés d’Egypte ; c’est dans « Quand le soleil était chaud » de Josette Alia que ce que Berque (le grand falsificateur de l’histoire) nomme « incendie du Caire », en janvier 52, incendie qui a préparé le coup d’Etat militaire de juillet 52, a été en fait l’incendie, aux cris d’Allah akbar, d’immeubles, magasins, biens appartenant à des Juifs.
Enfin, il ne peut y avoir de connaissance rigoureuse sans examen des mots qui désignent les réalités du Proche Orient. Tout le vocabulaire, du plus simple au plus prétentieux, tous les concepts, toutes les notions, doivent être soumis à un travail de « nettoyage » terminologique. S’il existe un domaine piégé, c’est celui-là. Les mots sont des écrans, à la fois la toile blanche sur laquelle des images sont projetées, mais aussi tout corps qui s’interpose entre un sujet et le monde (écran de fumée). Des centaines de mots font écran à la connaissance. « Le Moyen Orient arabe » est un livre publié dans la collection U (destinée aux étudiants), chez Armand Colin. Les deux mots du titre sont faux. « Moyen Orient » est la traduction de l’anglais « Middle East » qui désigne en théorie les pays qui se trouvent au milieu du continent asiatique. Le terme français exact et reçu par l’usage est « Proche Orient » ou « Levant ». « Orient » est un terme plus riche en significations que le mot anglais « East ». Il a un sens chrétien : l’Orient, c’est le Christ, chez les mystiques. « Orient » a aussi un sens politique, relatif au partage de l’Empire romain, trop vaste, en deux entités, Rome et Constantinople. Ces deux capitales sont situées au Nord de la Méditerranée. De fait, c’est par abus que le mot « orient » est étendu à l’Afrique du Nord. Delacroix est qualifié de « peintre orientaliste », alors qu’il n’est pas allé en Orient, mais au Maroc seulement, « Maghreb » signifiant en arabe « Occident ». En effet, les Arabes, après la conquête, ont divisé leur empire en deux parties : le Machreq (ou orient) et le Maghreb (ou occident). « Arabe » est aussi un mot piégé. La plupart des pays dits arabes ne sont pas habités par des Arabes. Ils ont été arabisés, ils sont devenus arabophones, ils ne sont pas arabes au sens propre de ce terme. « Arabe » est un terme ethnique qui désigne des populations définies par leur mode de vie nomade et leur organisation tribale et qui, d’un point de vue physique, sont plutôt minces. Ne sont habités par des Arabes que la péninsule arabique et les déserts du Sinaï, d’Irak, de Syrie, de Jordanie, d’Egypte. « La Terre » est un roman que l’Egyptien Charkaoui a écrit dans les années 1950. Dans ce roman, les paysans égyptiens, qui ne sont pas arabes, expriment un mépris sans borne à l’encontre de ces « Arabes » qui habitent le désert proche, les nomades qui vivent « fi raml wa qaml ». Les chrétiens d’Orient sont rarement arabes, sauf en Jordanie. Les coptes ne sont pas arabes, les Egyptiens non plus ; les grecs catholiques, les melkites, les assyro-chaldéens non plus. En fait, « arabe » est un terme idéologique (donc trompeur et inexact), qui sert d’oriflamme au nationalisme pan arabe, idéologie qui a émergé dans l’Empire ottoman au milieu du XIXe s, pour inciter les ressortissants soumis et colonisés de cet Empire à renouer avec la grandeur passée et fantasmée des « Arabes ». C’est cette idéologie qui légitime les pouvoirs en Egypte, en Irak, en Syrie, en Libye, en Algérie… Il est sûr que le contenu du « Moyen Orient arabe » est aussi trompeur que ne l’indique le titre.
Le destin du nom « islamisme » est éloquent. Islamisme dérive du nom islam, qui signifie « soumission » et auquel a été ajouté le suffixe - isme, d’origine latine et grecque. Islamisme n’existe pas en arabe. C’est un nom français bien formé, au sens où les règles qui régissent la formation des noms exprimant une croyance y sont appliquées. Il est attesté pour la première fois en 1697 dans la Bibliothèque orientale d’Herbelot, un professeur du Collège de France qui jugeait anormal que, de tous les noms qui désignent des religions, tels christianisme, protestantisme, bouddhisme, catholicisme, shintoïsme, animisme, etc. seul islam ne se termine pas par isme. Par analogie avec ces noms, le suffixe - isme a été ajouté à islam, sans que cette adjonction ajoute quoi que ce soit au sens de ce nom. En effet, islamisme est un synonyme d’islam. Dans son Dictionnaire de la Langue française, publié dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Emile Littré y donne deux acceptions : « la religion de Mahomet » et « l’ensemble des pays où règne cette religion, dans le même sens que chrétienté par rapport aux pays chrétiens ». Les auteurs du Trésor de la Langue Française, ce monument de la science lexicographique française, publié par les Editions du CNRS, relèvent dans le volume 10, publié en 1983, islamisme, suivi de la seule acception : « Religion des musulmans. Synonyme : islam ». Il est juste d’employer islamisme dans le sens d’islam et il est anormal de désigner les musulmans par un nom qui n’existe pas dans leur langue. Les auteurs du Trésor de la langue française (volume 10, 1983) ne consacrent pas d’entrée à islamiste (adjectif, au sens de « relatif à l’islamisme »), non plus qu’à l’emploi de cet adjectif comme nom désignant les personnes qui se réclament de l’islam. En français, existent les noms ou adjectifs musulman, adaptés de l’arabe mouslim (pluriel mouslimoun, dérivé d’islam), et islamique (au sens de « relatif à l’islam ») qui correspond à l’adjectif arabe « islamiyya », qui est dérivé lui aussi d’islam, comme dans GIA, acronyme de Groupes Islamiques Armés. Islamiste a été fabriqué récemment en français. Il ne devrait pas désigner des musulmans. On les dit islamistes, ils se disent et ils sont musulmans. Les désigner de noms forgés par on ne sait qui et qu’ils récusent à juste titre, relève d’une volonté d’effacer ce qu’ils sont. C’est aussi une marque d’irrespect à leur égard. Le terme « islam politique » n’est pas meilleur, puisque l’islam est un tout homogène (droit, politique, économie) et que tout est islam.