La dhimma
Le lot des chrétiens d’Orient est fait des discriminations, de mépris, d’exactions et de persécutions. Leurs souffrances ont commencé il y a quatorze siècles et elles durent encore, plus lancinantes. Les exactions et les mauvais traitements sont légaux et prévus par la « dhimma » qui régit le statut des non musulmans dans les pays d’islam. Elle s’applique aux Juifs et aux chrétiens, qui sont dits « dhimmis ». Les autres, animistes, païens, athées, hindouistes, sont légalement condamnés à mort. « Dhimmi » est traduit en français par « protégé », ce qui laisse entendre, à tort, que des lois protègent les chrétiens et les Juifs. La traduction la moins inexacte serait « tolérés ». On les tolère, comme on tolère des mendiants devant chez soi, alors que, dans l’islam ou avec l’islam, qui est censé achever la Révélation, ils n’ont plus de raison d’exister.
Les règles de dhimma ont été élaborées par des théologiens du VIIIe s. qui ont institué les crimes de guerre de la conquête arabe en normes juridiques. Le monde connu a été divisé en deux zones, nommées, l’une, « dar el islam » et, l’autre, « dar el harb » ou « maison de l’islam » et « maison de la guerre ». Au milieu, s’étend une zone intermédiaire, celle de la trêve : c’est une zone provisoire, puisque la durée d’une trêve (il s’agit d’une interruption du djihad) ne peut excéder dix ans. La dhimma résulte du djihad victorieux. Dans le « dar el harb », les chrétiens, les Juifs, les païens (bouddhistes et hindouistes), les athées sont « harbis » (c’est-à-dire « à exterminer »), combattus, tués ou réduits en esclavage. Dans le « dar el islam », les chrétiens et les Juifs, à condition qu’ils acceptent la domination des musulmans, sont « tolérés », au sens où les lois du djihad ne leur sont pas appliquées, du moins tant qu’ils se soumettent à l’islam : ils ont droit à la vie sauve. Leurs terres sont « fey » ou « butin de guerre », ils peuvent continuer dans l’erreur, mais discrètement (on ne construit plus d’églises, les cloches ne sonnent pas), ils ne peuvent pas monter à cheval, sur un âne seulement, etc. Surtout, ils sont soumis à un impôt spécial et « à merci » - la jiziya, dont les musulmans sont exemptés -, qui peut être prélevé n’importe quand et dont le taux dépend de la seule décision des autorités islamiques.
Les spécialistes du « Moyen Orient arabe » assurent que, dans les années 1830-70, et d’abord en Egypte, province de l’empire ottoman, la dhimma a été assouplie, puis abrogée. Les chefs d’Etat – Mohammed Ali et ses successeurs en Egypte, le sultan ottoman – ne voulaient plus que les chrétiens et les Juifs soient traités comme des « sujets » de second ordre, sans droit. Ils n’ont pas agi par compassion, mais parce que le rapport de forces leur était défavorable et qu’ils redoutaient, si les persécutions se poursuivaient officiellement, que les puissances européennes interviennent pour secourir les chrétiens, comme la France l’a fait au Liban en 1861 et la Grande Bretagne en 1882 en Egypte.
La dhimma a été abrogée officiellement, mais elle s’est maintenue dans les faits, officieusement en quelque sorte, et surtout, dans les années 1950-1960, elle a été rétablie subrepticement sous le manteau du socialisme ou du nationalisme arabe. En effet, comment expliquer les massacres dont les chrétiens d’Orient et les Juifs ont été les victimes en 1860, 1861, 1894-96, 1909, 1915-16, 1920-23, 1927-28, 1948, 1952-56 et dans les années 1960 ? Les chrétiens qui avaient opté pour le développement sur le modèle occidental ont été accusés d’arrogance ou de vouloir dominer les musulmans, ils ont été victimes de pogroms, et certains exterminés. En 1860, à Damas, l’ascension sociale des grecs catholiques a été stoppée par les massacres de dix mille membres de cette communauté. En 1894-96, 1909, 1915-1916, 1920-1923, les Arméniens qui tenaient à recouvrer leurs libertés publiques n’ont plus été « tolérés ». Ils ne voulaient plus être régis par la dhimma : ils ont été éliminés par un génocide. Il en est allé de même en 1948-52 pour les Juifs d’Egypte.
Le nationalisme arabe, apparu au milieu du XIXe siècle, en même temps que la « nahdah », que l’on compare à tort à la Renaissance des Arts et des Lettres en Europe, est ambigu. C’est une idéologie séculière dans quelques-unes de ses formulations (la modernité littéraire), mais religieuse dans ses fondements, qui prône un retour aux sources, c’est-à-dire à l’islam originel, celui de Mahomet entre 611 et 632 et celui de ses immédiats successeurs qui ont conquis le monde, et qui incite à l’imitation des ancêtres vénérés (salaf), à savoir les guerriers de l’islam conquérant. La nahdah a regroupé des sceptiques et des religieux. Soit l’Organisation de Libération de la Palestine. Le plus connu des partis qui la composent est le Fattah. Le nom « fattah », qui signifie « ouverture », désigne ce qui s’est produit, entre 632 et 642, quand les Arabes sont sortis d’Arabie pour conquérir le monde : on dit en arabe, par métaphore, qu’ils se sont ouverts le monde. De même, Arafat est un pseudonyme. Son véritable patronyme est Husseini, la famille du grand moufti de Jérusalem, de 1927 à 1945, qui a été l’allié déclaré d’Hitler dans les pays musulmans. Arafat est le nom d’une colline de la Mecque, qui fait l’objet d’un rite lors du pèlerinage annuel.
En Egypte, en Syrie, en Irak, en Turquie, etc. les nationalistes arabes ou turcs se sont travestis en « socialistes » pour réintroduire la dhimma. Les biens des étrangers, tous chrétiens, des Juifs ou des chrétiens autochtones, des seuls infidèles, ont été mis sous séquestre et transférés aux musulmans ou à l’Etat musulman. L’autonomie partielle (état civil, éducation, culte, rites, etc.) dont jouissaient les communautés chrétiennes dans l’empire ottoman a été abolie, et cela, pour reconstituer l’oumma originelle, réislamiser les lois sous la pression de l’Arabie saoudite et rétablir une charia souterraine, qui est en partie dans les lois et qu’appliquent les organisations islamiques (et pas l’Etat).
Les persécutions ont beau être avérées, elles sont tues en Europe, dans les pays dits libres ou « chrétiens », en particulier en France